sick in the head (step)

c'est pas qu'il te manque, toi. c'est pas ça non. c'est juste que t'es seule ce soir, que ça t'ennuie et puis, d'accord, peut-être que l'odeur de ce gars te manque. pas lui, mais juste l'odeur de parfum sec, bois et arômes de quelque chose d'autre, indéfinissable. siam, tu joues avec le feu, parce que l'idée de te brûler les ailes t'amuse doucement, tu cours vers le danger. le danger, lui. de tes doigts fins, t'attrapes la veste en jean, qui cache tes épaules nues. t'as choisi la tenue adaptée pour aller voir cet homme, step, parce que c'est comme ça qu'il t'a dit s'appeler, la deuxième fois que tu l'as vu, par hasard dans les rues un peu tard le soir. t'es belle, siam, en beauté pour chasser. le haut au-dessus du nombril, crop-top comme on les appelle, le jean un peu troué, t'es habillée comme une enfant en quête de maturité. mais t'es jolie, promis juré. avec tes yeux sombres et tes lèvres rouge. avec tes airs pas d'ici, mais plutôt de là-bas. y a ton père qui te demande où tu vas, tu prends pas la peine de répondre, fuis avant la tempête. t'es dehors et t'as fait tes recherches, toi. tu sais que step, il bosse pas trop loin de chez toi, quelques minutes à pieds, pas plus. tu te souviens un peu du nom, tu crois. puis cassas c'est un peu comme si tu connaissais par coeur, les maisons et les odeurs qui appartiennent à chaque rue. tu t'souviens, tu crois que sa rue à lui, au bar, elle sent un peu les épices et le café. et comme par magie de toute façon, l'endroit t'apparaît, t'es devant et t'as que dix-neuf ans. putain. t'essayes bien d'entrer mais y a des connards qui te refoulent à l'entrée. t'essayes bien de passer en force comme tu fais en boîte, mais là, ça marche pas. ils voient bien, que malgré tes airs de jeune-femme, t'es rien qu'une jeune-fille. alors tu commences à prendre tes grands airs, sauf qu'ils te poussent un peu, ces gars. t'hésites à hurler des trucs comme "on m'agresse" ou "au voleur" mais c'est stupide, avoue. alors, t'abandonnes un peu. sauf que siam, t'es pas comme ça. tu le veux et tu l'auras. t'es assise sur les marches de la porte de derrière le bâtiment. tu t'en fous, toi. t'as la niaque et l'envie, surtout le désir. alors t'attends. t'attends et il est tard, trop tard. putain, t'avais jamais capté toi, que ça fermait si tard, un bar. mais tu restes. t'enchaînes clope sur clope, à t'en niquer tes poumons noirs.
et t'attends.

neurones embrouillés. yeux piquant de fatigue. t-shirt collant. tu transpires. t’as chaud. tu piétines. tu bouges de long en large derrière ton bar pour satisfaire la clientèle. comme toujours. mais ce soir il y a plus de monde. un enterrement de vie de garçon au fond. une dizaine de mecs. tous avec le même bandana rouge dans les cheveux. ils ont l’air cons. ils crient à la liberté. ils lèvent leur verre pour féliciter leur pote. mais toi, tu vois pas ce qu’il y a à fêter. c’est une connerie. juste ça. se marier avant trente ans. ou même se marier tout court. le mec a le même âge que toi. pas plus de vingt-sept ans, t’en mettrais ta main à couper. et il est là à celer son destin à une nana qu’il trompera probablement dans moins de six mois. ridicule. pathétique. une connerie, c’est tout. tu comprends pas. tu sais pas ce qui pousse les gens à vouloir s’emprisonner dans des relations. mais tu t’en fous. c’est pas tes affaires. toi tu prends les billets et tu leur tends des verres. toujours plus. bière puis whisky et enfin vodka. un verre d’eau qui se glisse de temps en temps. pour les garder un minimum stable sur leurs pieds et aider la gueule de bois du lendemain. tu te dis que si le mec a besoin d’autant d’alcool dans son sang ce soir c’est peut-être parce-qu’au fond il sait que c’est une erreur. les heures tournent. les clients disparaissent. la foule diminue. tu respires moins vite. tes pieds te font un mal de chien. tu pousses monsieur jones vers la sortie. soixantenaire qui a quasiment fait du bar son domicile. triste vie. tu souffles. tes doigts collant qui ferment la porte d’entrée de l’intérieur. tu ranges rapidement. tu passes un coup d’éponge. tu te fais un shot de vodka avant de récupérer le sac de poubelle. lumières éteintes. ton corps épuisé qui se dirige vers l’arrière. tu pousses la porte un peu violemment. elle fait frapper contre le mur. « fais chier » tu grognes d'une voix rauque. ton patron t’a déjà dit d’être discret après minuit. pour éviter les plaintes des voisins. une odeur de nicotine qui empare rapidement tes narines. tête relevée, yeux plissés. créature irréelle dos à toi. assise sur les escaliers. tu t’empêches de trop réagir. souffler, te mordre la lèvre. « tu t’es perdue ? » tu lâches un peu sèchement. tu sais que non. c’est pas la première fois que tu la vois. et bordel t’aurais voulu qu’elle arrête. de te courir après. de te chercher. ça aurait été plus facile pour vous deux. tu passes à côté d’elle. tu évites de l’effleurer. tu évites de la regarder. tu veux pas lui accorder d’importance. elle va se barrer. tu te jures qu’elle va le faire. tu t’éloignes à peine. juste le temps de jeter le sac que t’as dans la main. et tu restes dos à elle. ta main qui s’enfouit dans la poche de ta veste en cuir. clope. une clope. il te faut ça. et ne pas la regarder. surtout pas.

t'en as un peu marre, tu penses à partir. même que t'allais te lever mais juste à ce moment là, la porte claque fort. toi, tu sursautes, t'as l'air d'un chat apeuré, mais tu restes droite, tu fais mine de rien, tes lèvres qui tâche ta cigarette de rouge. il a l'air à cran, avec l'insulte qu'il lâche en l'air, comme ça, ou peut-être pour toi, t'en sais trop rien. tu sens qu'il t'a vu. tu sens qu'il est pas bien, là. t'en es presque fière, mais en même temps, tu ressens le froid, sa froideur à lui, qui te plaît tellement. il te lance une pauvre question dont il connaît déjà la réponse. alors, ça te fait rire toi, juste un peu, avec pas mal d'ironie. la fumée que ta cigarette dégage s'envole et s'évapore, et toi, tu bouillonnes, parce qu'il fait comme si tu n'étais pas là. toi. toi qui attends depuis des heures sur des marches, avec l'air froid qui tape sur ton ventre dénudé. c'est une vraie question à laquelle je dois répondre ? dos à toi, il commence déjà à t'énerver. tu le vois, le garçon, chercher quelque chose dans ses poches, et tu sais quoi. alors, sans un bruit, comme un chat, t'approches l'animal sauvage, et juste derrière lui, presque collée à son dos, tends une cigarette. tu peux sentir, enfin, le parfum tant convoité ce soir. tu peux toucher, tu peux regarder. tu peux jouer. c'est ça que tu veux, pas vrai ? sourire sur tes lèvres, tu restes là, mi-contre lui et mi-détachée, comme si rien ne comptait. pourtant, c'est tout l'inverse. le parfum te fait perdre la raison. t'en es folle, plus que de lui, c'est sûr. il a quel âge déjà, step ? vingt-cinq ? ça t'attire, ça. c'est interdit et toi, ce qui est interdit, t'as toujours aimé. faut dire que step, il est beau, plus beau que ces gamins de ton âge, qui parlent cul et voiture toute la journée. step lui au moins, il est mature. step lui au moins, il connait la vie. enfin tu penses. et step, t'es sûre qu'il peut t'apprendre des tas de choses, c'est sûr. la main tendue, t'es même pas sûre qu'il accepte ta cigarette, parce que c'est un peu comme le fruit du diable.

tu pensais pas la revoir. pas avant quelques temps. tu as fait d’elle une image. un mirage agréable. une apparition angélique dans tes rêves. une pensée sensuelle en rentrant après le boulot. tu voulais qu’elle reste comme ça. loin de la réalité. loin de ta vie. c’était plus simple à gérer. moins compliqué. tu te poses pas trente-six mille questions quand tu te réveilles après avoir rêvé d’elle. tu n’as pas à trop réfléchir. à tes gestes, tes paroles. c’est juste toi et ton inconscient. rien de plus. sauf qu’elle est là. tu sais pas depuis combien de temps elle attend. probablement pas depuis longtemps. elle doit avoir passé la soirée ailleurs. et elle s’est retrouvée ici. impossible qu’elle t’ait attendu plus d’une heure. ce serait ridicule. ou alors désespéré. tu passes contre elle. à peine. tu veux pas lui accorder trop d’importance. ta question froide qui résonne dans la nuit. tes mots choisis. pas trop. pas assez pour lancer une vraie conversation. c’est ce que tu penses. tu veux juste lui faire comprendre qu’elle n’a rien à faire là. qu’elle perd son temps. « rentre chez toi, gamine. » le surnom que tu siffles. presque une insulte. un rappel à l’ordre pour vous deux. elle est trop jeune, step. ça sert à rien. un bijou à admirer mais pas à toucher. tu devras t’en contenter. puis sans même que tu t’en rendes compte, elle se retrouve derrière toi. non. contre toi. sa poitrine dans ton dos. son souffle aussi. une cigarette qui apparait entre ses doigts fins. si elle savait ce que tu voulais vraiment. bien plus qu’une clope… bien plus dangereux aussi. ta main qui vient dégager la sienne. un peu sèchement. t’es pas sûr de lui avoir fait mal. tu te retournes. tu t’écartes. tu ne peux pas l’avoir aussi proche. alors tu fais un pas puis un deuxième. son corps qui est un appel au sexe. son ventre dénudé. son jean troué. ses lèvres rouges. alléchantes. tes mains qui tremblent presque par envie de la toucher. « papa ne t’a jamais dit de ne pas parler aux inconnus ? » ton ton un peu hautain. tu cherches à faire le fier. celui qui ne laisse rien transparaitre. tu refuses qu’elle voit qu’au fond tu trembles. de désir. d’envie. « qu’est-ce que tu fous là ? » seule, à cette heure-là, t’aimerais rajouter mais t’es mal placé pour avoir le droit à autant de détails. joue l’indifférence. elle se lassera. tu supposes. « le bar est fermé. » tu rajoutes. un fin sourire sur les lèvres. comme si tu lui annonçais qu’elle avait loupé son coup. qu’elle arrivait trop tard.

mais il te veut pas. regarde, siam, comme il agit. sa colère noire et ses gestes presque trop rapides, violents. tu prends ta mine boudeuse, d'enfant. siam toi, quand tu veux quelque chose, tu l'as d'habitude. step, il te résiste et ça te fait brûler de plaisir. vos corps presque collés l'un à l'autre, son parfum, son odeur corporelle, y a tout qui te rend folle, toi. explosions de sentiments en toi quand il t'appelle gamine, et tu préfères pas répondre, juste soupirer un peu fort, pour qu'il entende ton agacement. tu sais bien, qu'il te pousse à partir en faisant ça. tu sais bien et tu veux pas rentrer dans son jeu, toi. et puis step, repousse ta main. comme offusquée, quand il se retourne et qu'enfin, son visage t'apparaît, tu prends cet air, un peu choquée, un peu vexée. il est beau, step, comme un dieu, comme ces mecs qu'on croise nul part. pourtant toi, tu l'as trouvé, au détour d'un carrefour. il joue au grand step, parce que c'en est un, comparé à toi, mais t'as pas peur, il t'effraie pas, tout au contraire, t'anime d'un désir immense, trop grand pour toi. t'avances doucement vers lui, quitte à le faire reculer un peu, mais ça t'en doutes. c'est pas le genre d'homme à bouger devant une gamine. papa peut bien dire ce qu'il veut. moi, les inconnus... trop près de lui, tu chuchotes quelques mots. ça m'excite. t'es sûre qu'il a entendu et un sourire naît sur tes lèvres. tu meurs d'envie de lui, juste une nuit, une fois. tu veux juste qu'il t'apprenne, step, toutes ces choses que tu ne sais pas. je suis pas là pour le bar, step. son prénom prononcé froidement, pourtant t'es sûr que ça lui fera quelque chose. t'as pas envie qu'il s'enfuit, il a pas le droit de faire ça, surtout parce que tu as attendu des heures. t'as peur. peur que le loup ne te trouve pas assez belle, pas assez à son goût. t'as peur que le loup te mange toute crue.