pillow talk

01. Une enfance heureuse, simple. Banale, voir ennuyeuse. Une mère enseignante, un père mécanicien. Si, grâce à son amour pour les livres, il avait des affinités évidentes avec sa mère, il a su trouver un terrain d’entente avec son paternel aussi. Une relation parfois maladroite, peut-être trop différent l’un de l’autre. Pourtant, il ne pourrait calculer toutes les heures qu’il a pu passer à flâner dans le garage de son père, concentré à sa lecture avec le son de la vieille radio et son père qui s’affaire sur une carcasse de bagnole. 02. C’est quand il était âgé de seize ans que son père est décédé. Un cancer. La maladie a été découverte sur le tard et la suite a déboulé rapidement. Moins d’un an après le diagnostique, ils l’enterraient. Sa mère s’est remariée moins d’une année plus tard. Un délai qu’il jugeait bien trop court. Une rancune qu’il tient encore à ce jour, bien qu’inavouée. Au fil des années, il a finit par accepter ce nouvel homme dans la maison malgré des débuts difficiles. En réalité, c’est quand il s’est établi à plusieurs heures de route de sa ville natale que les relations avec sa mère se sont améliorées. Peut-être qu’il lui est plus facile de les aimer quand ils ne sont pas trop près de lui. Quoi qu’il en soit, il ne rate jamais un appel de sa mère – bien qu’il lui arrive fréquemment d’inventer de faux prétextes pour refuser une invitation. 03. Depuis aussi loin qu’il peut se rappeler, il a voulu être écrivain. En fait, il a toujours écrit. Du moins, inventé des histoires. Sa mère l’a toujours incité à poursuivre cette voie, ce rêve. Toujours à lui offrir des bouquins usagés qu’elle achetait pour quelques dollars. Il en a d’ailleurs une impressionnante collection. C’est une habitude qu’il a gardé. Il peut passer de nombreuses heures à flâner dans les librairies à feuilleter les ouvrages jaunis par le temps. Il peut passer des heures à lire, sans broncher, sans bouger. Complètement inconscient du monde qui continue de vivre autour de lui. 04. S’il vit depuis quelques années de sa passion pour l’écriture, il a dû se résoudre à endurer des infâmes petits boulots durant de longues années. Tantôt livreur de pizza, tantôt serveur. Il a à son actif quelques nouvelles publiées dans des recueils ou magazines spécialisés et deux romans. S’ils ont été bien reçus par la critique, les ventes n’ont pourtant jamais vraiment décollées. Un auteur anonyme malgré son acharnement et sa dévotion. Quand il a enfin reçu l’appel lui disant qu’un éditeur désirait publier son manuscrit, il pensait qu’il venait de réussir. De franchir le cap. Celui qui sépare l’amateur du professionnel. Légèrement désabusé et en panne sèche d’inspiration, il commençait à croire que son temps était venu. Qu’il n’écrirait jamais de ‘grand roman’. Qu’il était voué à une carrière plate, à l’étagère des liquidations. Il a a ses trousses son éditeur qui l'inonde d'appels et de emails. L'avance qu'il a reçue pour son troisième roman est dépensée depuis longtemps et il n'a rien à leur mettre sous la dent en échange. 05. Il est en ville depuis peu. C’était par le pur fruit du hasard qu’il est tombé sur un article parlant de la mort, du suicide de cette jeune femme exemplaire, respectée, impliquée et aimée par sa communauté. Comme fasciné par l’histoire, il s’est tout de suite mis à imaginer la vie de cette Jane, la vie dans cette petite ville du Tennessee. Accablé depuis de longs mois par le syndrome de la page blanche, Wood y a vu une opportunité en or. Il changerait les noms, les lieux. Imaginerait le gros de l’histoire, mais il devait en apprendre plus. Sur elle, sur les autres. Il s’est donc rendu à Cassas, avec la ferme intention de découvrir qui sont ces gens et essayer de comprendre comment cette jeune femme a pu en arriver là. 06. Il y a cette fille qui est devenue, sans le savoir, sa muse. Sa source d’information. Elle a connu Jane. Il s’est rapproché d’elle naturellement. C’était une opportunité en or. Pourtant, il s’attache à elle, est attiré par elle. Il boit ses paroles, les mémorise pour mieux les écrire une fois isolé dans sa chambre. Déchiré entre son désir pour elle et son désir d’écrire cette histoire basée indirectement  sur leurs vies. Il comprend qu’il risque gros si elle venait à comprendre les intentions qui l’ont poussé vers elle, mais il ne peut plus reculer, ni s’empêcher de s’amouracher d’elle. 07. Wood est très observateur. En fait, observer les gens est une sorte de passe-temps pour lui. Une façon de faire des recherches. Pour ses histoires. Il observe les gens, leur manière de parler, leurs gestes ou leurs tics. Leur voix, leur allume ou encore leur rire. Il lui arrive souvent de s’installe dans un lieu public et de simplement observer ce qui se passe autour de lui, inscrivant dans son cahier chaque élément qui retient son attention et, petit à petit, il monte la personnalité de ses personnages. Cette manie a fait de lui une personne très attentive et surtout attentionnée. Il connait bien son entourage et reconnaît aussi facilement leur non-verbal. 08. Woodrow a toujours été au prise avec des troubles du sommeil. L’insomnie est monnaie courante pour lui. Enfant, il lui arrivait fréquemment d’être somnambule. En vieillissant, il semble être moins sujet au somnambulisme bien qu’il lui arrive encore de se réveiller dans des endroits inusité. Le plus souvent, à l’extérieur. Ses nuits sont souvent courtes et mouvementées. Il a pris l’habitude d’aller se balader la nuit, une activité qui semble l’apaiser.  Il a toujours eu une fascination pour la nuit. Pour son calme, l’intimité de la noirceur et l’impression de marcher dans une ville morte. Le jour, il lui arrive donc très souvent de fermer l’œil, ne serait-ce que quelques minutes, dans des endroits inusités. Assis dans un café, dans un parc, à son bureau,… 09. Il conduit une vieille motocyclette qui avait appartenu à son père. Enfant, il a dû faire des centaines de tour sur la machine, derrière son père. En grandissant, son intérêt s’était dissipé. Il eut toutefois un pincement au cœur et une envie soudaine de la chevaucher quand il l’a vue à nouveau, abandonnée et poussiéreuse dans la vieille remise de sa mère. Ses mains se souvinrent machinalement les gestes qu’il a vu son père poser mainte fois et il parvint à le remettre en état. Depuis, c’est son moyen de transport de prédilection. Il sait qu’elle fait un bruit d’enfer et que chacun de ses passages en ville sont remarqués, mais il ne pouvait pas se convaincre de la laisser derrière. 10. Il y a deux choses que Wood transporte toujours sur lui. Un vieux cahier maltraité aux bordures arrondies par le temps à la couverture de cuir devenue souples et craquelée avec les années et son magnétophone. Toujours prêt à être frappé de plein fouet par l’inspiration. Une idée d’événement, une réplique, une action, parfois simplement un mot accrocheur qu’il veut utiliser. Il s’est mis à trimballer un magnéto il y a quelques années. Depuis, c’est devenu une sorte d’extension de lui-même. Une façon de retenir les idées qui défilent dans son esprit parfois trop rapidement. S’il ne remarque même plus les regards qu’on lui jette quand il se met à parler seul, il doit avouer que la plupart du temps lui-même n’arrive pas à faire du sens de tout ce qu’il a enregistré quand il écoute les cassettes.